Avant de commencer cet article qui sera long, je fais un petit aparté d'un changement dans le voyage...
La bouffe !
Lors de mon passage à El Calafate, j'ai rencontré Ross (non, je ne vais pas faire un coming out!). Ross est « dump diver », comprenez : il fait les poubelles des primeurs en particulier pour y trouver des fruits et légumes encore bons mais trop moches à la vente dans notre chère société de surconsommation. Et puis j'ai également rencontré Caïo (brésilien) et Alejandro (colombien), eux, mendient de la nourriture dans les boulangeries et restaurants, avançant le fait qu'ils n'ont pas beaucoup d'argent (ce qui est le cas, en tout cas pour eux).
Ceux qui me connaissent un peu savent que le « dumpdiving » ou « glanage urbain » est une volonté de ma part de m'y lancer réellement. J'ai eu l'occasion de m'y initier un peu en Australie, en France et en Espagne, mais l'accès aux poubelles est souvent difficile et/ou interdit.
Mendier prétextant n'avoir que peu d'argent me dérange. J'ai tenté une fois, à El Chalten pour du pain. Je suis sortie de la boulangerie avec un sac de pain mais cela m'a gêné. J'ai de l'argent, assez pour me payer du pain, assez pour faire ce voyage qui finalement ne me coûte déjà que très peu : nourriture et « attractions touristiques » (transport et camping frôlant les 0€).
J'ai pris le temps de réfléchir à tout ça sur mon vélo, chercher ma limite entre écologie, radinerie (oui, un peu quand même) et morale me permettant de me regarder dans mon rétroviseur chaque matin (qui par ailleurs s'est également cassé, j'y reviens plus tard...) :
Je demande aux boulangeries et aux restaurants si il n'ont pas du pain de la veille, invendable ou inutilisable. Certains me le vendent pour pas-grand-chose, la plus pars me le donnent et certains m'offrent même un peu de pain du matin !
Quant aux primeurs, plutôt que de me salir les mains dans leurs poubelles bien souvent inaccessibles, je leurs demande si ils n'ont pas des fruits ou des légumes moches qui ne se vendront pas. Certains m'affirment que tous leurs fruits sont parfaits à la vente, d'autres me font des prix et « mes bons élèves » prennent un petit sac, font le tour de leurs étals en y enlevant les fruits qui font la tronche.
Honnêtement, ça marche bien et n'ai souvent pas besoin de faire le tour de tous les vendeurs pour avoir les quantités nécessaires. Il y a de tout, des gens qui comprennent la démarche, qui l'approuve quand je leur explique et d'autre non « un touriste qui ne veut pas cracher de tunes et puis quoi encore ??? ». Mais jamais rien de bien méchant, cela me fait rencontrer du monde et c'est certainement là l'essentiel !
Je reviendrais plus en détail sur cette pratique dans un article que je ferai, lorsque je travaillerai, expliquant les buts, objectifs, façon de penser, philosophie de ce voyage (« philosophie », ça vend du rêve hein?) pour le moment, je reprends le cours du voyage...
Carretera Austral (sud)
En poursuivant vers le nord de El Chalten, je prends la direction de la Carretera Austral, sur le papier, paradis du voyageur à vélo.
Bon, j'avoue que les ailes pour se rendre au paradis se sont bien vite brisées, me faisant me rétamer comme une bonne grosse merde sur le sol... Pourquoi ?
Le gouvernement argentin, laisse une entreprise facturer le passage d'un lac en bateau, pour une personne (l'embarquement du vélo est offert) : 40 € pour 40 minutes !
Et puis quand tu as bien mal aux fesses d'avoir perdu 40 €, tu repars le lendemain, faire un trek de 8 kms avec le vélo qui ressemble à ça :
Un jour : 6 kms ! Et sous la pluie bien sûr !
Arrivé au Chili, une piste (enfin!) jusqu'à un autre fichu lac où cette fois on te fait payer près de 70 € les 2h de traversé... On remercie le gouvernement chilien, car les impôts que payent l'entreprise, ne vont pas pour faire faire des routes...
Ça y est, je suis au paradis ! Fauché, mais au paradis ! … Mais sachez qu'il pleut drôlement au paradis !
Sur la route, je trouve un petit spot, près de bateaux de pêche abandonnées, spot déjà repéré par un Argentin et deux Américains plus tôt dans l'après-midi. À l’abri dans le bateau, il pleut comme vache qui pisse et espérons une accalmie pour sortir chercher nos réchauds et notre riz, en vain...
2 litres de vin chilien plus tard, avec un peu plus de courage, on se mouille et revenons vite au sec, pour manger et dormir dans notre yacht 5 étoiles...
Les jours suivants me sont compliqués, le paysage est beau mais le temps est globalement dégueulasse même si j'ai parfois de belles journées ou partie de journée mais le moral n'y est pas vraiment :
- Depuis que je remonte d'Ushuaia, j'ai ce sentiment qui me revient et qui a tendance à me couper les jambes : Je n'ai plus l'impression d'avoir de but. Sur la route, il y aura certainement du travail, où ? Quand ?, je vais peut-être m'arrêter un an, beaucoup de choses vont changer mais tout ça est encore trop vague.
- Les Chiliens : Les gens me paraissent froid, distant, j'en rencontre des adorables mais je les trouves globalement un peu plus coincés (pour le moment).
- Le temps : Il pleut beaucoup ici ! À Tortel, je demande les prévisions du lendemain, on me dit « ça change beaucoup... entre pluie et brume »... Je me suis déjà aperçu au cours de ma petite vie (et de mes études dans le nord de la France) mon besoin de soleil pour garder le moral, visiblement, près de 10 ans plus tard, je n'ai pas changé...
Tortel
- Les touristes ! Il y en a partout ! Arrivé en terre de feu, cela m'amusait, là, ça fait beaucoup (ça joue d'ailleurs certainement sur la distance qu'ont les Chiliens avec les voyageurs). Fini d'être LE héro (un peu concon quand même) qui parcours la route 3 en vent dans la tronche pendant 3000 kms ! Là, je redeviens « touriste lambda » perdu dans une nuée d'autres voyageurs à vélo.
- Les routes : Les pistes sont parfois très mauvaises avec de la tôle ondulé qui me fait avancer à 5 kms/h sur du « plat » tout en me cassant les fesses (commencerais-je à regretter le vent patagon?). Les dénivelés (non cumulés) ne sont pas énorme, 400, 500 m parfois deux à trois fois par jours maxi mais le poids du vélo me tue.
- L'artisanat, fausse bonne idée ? En comparant le poids de mon vélo avec ceux croisés sur la route, il y a une sacré différence (8 / 10 kgs?) qui sur le plat ou sur les petites montés asphaltés, me dérangait moins. Sur les pistes, en poussant le vélo, ça me casse en deux.
Le bon côté dans tout ça ? La route est sympa, vraiment sympa ! Lorsqu'il fait beau, et les jours s'améliorent, malgré les pistes parfois vraiment dégueu qui me font jurer contre le gouvernement chilien, je déambule dans un cadre magnifique entre fiords, cascades, gorges, rivières, lacs... Tout y est !
Mon manque de motivation des derniers jours, me font accepter un stop proposé par Charlotte et Gabriel alors que je commence à pousser mon vélo sur une cote de 4 kms, poncho sur le dos pour affronter la pluie et les graviers. C'est un couple de voyageurs lui, chilien et elle, française qui veulent se lancer dans l'ouverture d'un hôtel à Puerto Tranquillo. Ils me déposent à Cerro Castillo, le mauvais temps me dissuade d'y rester pour envisager un trek, je passe dans un foodtruck demander du pain et me retrouve avec un sandwich énorme dans l'assiette ! Suzy travaille ici depuis 14 ans, on discute une bonne partie de l'après-midi avant que je ne retourne sur l'asphalte (doux asphalte). Le soir, alors que je viens de passer devant un camping, je croise deux autostoppeurs se faisant déposer par un homme d'une ferme. « Il doit aimer les voyageurs lui, je vais y demander si je peux planter ma tente dans son jardin ».
Ernesto, vieil homme, encore occupé avec ses moutons et ses champs, m'offre un bout de terrain pour la nuit. À défaut de pédaler beaucoup, je discute ! On partage le café, me vente Pinochet qui a fait construire la route en Patagonie, le rodéo et se plaint des immigrés boliviens qui viennent « voler » le travail des Chiliens (mais au nord du pays... loin... Serai-je revenu en Aveyron ?).
Le lendemain, je propose de l'aider à sortir des bottes de paille pour un client ainsi qu'à ranger le bois pour l'hiver. Cela me fait profiter de la vue (enfin dégagée) du fameux « château » de la ville...
Cohayque
L'arrivée à Cohayque se fait en demi-teinte, la route est désormais bonne et malgré la « montée du diable » qui me fait cravacher près de deux heures, je profite d'un temps super avec la vue qui va avec.
La « teinte » plus obscure est le bruit que fait ma boîte de transmission. En roue libre, un « taktaktak » beaucoup plus fort qu'à son habitude me fait d'abord penser à quelque chose de coincé dans les rayons.
Les vitesses commencent à sauter et profite de mon arrivée en ville pour avoir l'avis d'un professionnel.
Ma transmission est un moyeu intégré rempli d'engrenage qui m'offrent 8 vitesses. L'avantage est qu'il n'y a aucun entretient, l’inconvénient est qui si un jour ça casse, je devrais le changer.
J'avais ça dans le coin de ma tête avant de venir et me suis déjà renseigné sur les 200 / 300 € que me coûteront la mise en place d'un système de dérailleur « classique » de bonne qualité et beaucoup plus pratique en cas de problème.
Le lendemain, avec le gars du magasin de vélo, on ouvre ce qui peut être ouvert de la boîte, nous nettoyons tout mais rien à faire, le bruit persiste. « Ne t'inquiète pas, ça devrait tenir pendant encore un moment »...
Le « cool » dans tout ça est que j'ai eu une réponse favorable pour du travail vers Mendoza (à 2000 kms au nord). Il me faut y être dans deux mois. (haaaa, le plaisir de pouvoir se lancer dans un travail sans avoir besoin d'un BAC PRO Nettoyage D'Assiette)
C'est un travail dans un hôtel au sud de la ville. Mathieu, rencontré il y a 6 ans en Australie au détour d'une grappe de raisin et avec qui j'avais gardé contact, y a passé près d'une année.
À défaut d'un vélo fonctionnant bien, j'ai retrouvé un but dans mon voyage !
Via CouchSurfing, je retrouve Luis dans sa petite maison sur les hauteurs de la ville. Je me repose deux jours entiers en sa compagnie et celle des autres couchsurfeurs qui pour le coup me changent les idées et me fait pas mal de bien. Il est prof d'Espagnol, me reprend à pas mal de mes maladresses linguistiques sans parler du débat à savoir si « boire » une glace est-il plus logique que « manger » une glace ?
Je repars donc sans grande motivation de la maison de Luis vers le nord, où une nouvelle piste bien piteuse m'attends mais un peu plus loin, la délivrance... l'asphalte… et Jérémy !
Jérémy est Français au Chili pour quelques semaines de vacances.
On roule trois ou quatre jours ensemble, il me motive à faire des journées un peu plus longues et je le motive à ne pas rester en « 1ère » car je n'ai maintenant qu'une seule vitesse, un peu plus dure cette fois-ci (la 2 ou la 3 certainement, mon indicateur ne voulant plus rien dire).
On se sépare un peu plus au Nord, lui reste au Chili, sur la Carrerera, moi repart en Argentine pour suivre la route 40 (les choix sont parfois difficiles en voyage...).
Ma dernière étape chilienne (pour le moment) est Fautalufu.
Arrivé sur les coups de midi, en stop (les 50 kms de piste en montagnes russes ne m'enchantant guerre...), je m'arrête au restaurant de Marysol. Maman de trois enfants, elle me propose de finir la soupe de la veille et la conversation tourne autour de... dieu !
- Tu crois en dieu ?
- Non (assez catégorique certes) BIIIIP mauvaise réponse !
- Il faut servir dieu pour aller au paradis sinon, c'est l'enfer qui t'attend (je ne l'avais jamais entendu cette version et j'avoue qu'elle n'est pas très « cool », je préfère celle qui dit que dieu pardonne et patati et patata (« quepam quepum » en castillano).
Bref, j'ai plus l'impression qu'elle me donne son fond de soupe pour marquer des points aux yeux de dieu plus qu'autre chose...
Plus tard dans la conversation, elle m'annonçe qu'un de ces fils pars au Etats Unis apprendre l'anglais, j'y demande si elle n'a pas peur de laisser partir son petit pendant 1 an. Elle me dit que non, s'il venait à mourir demain, elle l'accepterai car c'est Dieu qui l'aura décidé.
Rencontre interresante que cette Marisol, je l'aide à éplucher des patates, on discute encore un peu et je repars avec mon vélo boiteux du coté Argentin sur une belle route bordées de pommiers garnies (même plus besoin de demander des fruits moches!)...
Rendez-vous sur la Route 40...
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