Me revoilà en Argentine. La route côté argentin est mauvaise mais relativement plane. Je n'ai toujours qu'une seule vitesse et je dois pousser mon vélo à la moindre petite monté. C'est pour cela que tout en continuant à pédaler, je fais du stop à la moindre occasion, les oreilles en alerte, c'est pas le moment d'écouter Alain Souchon ! Sans grand succès durant toute la matinée, je finis par me faire prendre sur une dizaine de kilomètres qui me font sortir de la route principale et chaotique que je suivais pour me « télé porter » à 3 kilomètres d'une route asphaltée qui me rend bien plus productif !
J'arrive à Travelin, fait un peu de courses et repars rapidement vers Esquel, je peste seulement sur le faux-plat montant qui me fait bien cravacher...
Esquel
Je n'ai pas d'intérêt à m'arrêter ici non plus, n'aillant pour seul but la route 40 jusqu'à Mendoza. Je continue donc ma route sur une dizaine de kilomètres mais ma transmission commence à faire n'importe quoi. De deux vitesses, j'étais déjà passé à une, désormais, en plus de ça, le système me freine dans un bruit ressemblant au cri du cochon que l'on égorge allant parfois même jusqu'à bloquer les pédales. Cela se produit de plus en plus régulièrement, me mettant parfois dans des situations compliquées, voire dangereuses.
Passant le contrôle de police à la sortie de la ville, je décide de faire du stop jusqu'à El Bolson avant de me raviser, une idée me passant par tête : Pourquoi ne pas changer ma roue arrière par une roue d'occasion qui a déjà les pignons, le dérailleur et qui ne me coûtera pas grand chose ? Il y a peut-être un truc à tenter dans cette ville !
Je repasse devant la police pour retourner en ville, on est dimanche, il est 17h. Je m'arrête sur la place centrale, le vélo bien en évidence espérant susciter l'attention (oui c'est mon seul plan pour le moment...).
Ce n'est jamais facile d'arriver en ville si tard, il n'y a bien sûr aucun camping sauvage « officiel », les messages envoyés sur CouchSurfing et WarmShower ne répondent pas et les pompiers n'hébergent pas les voyageurs (Chili 1 – 0 Argentine). Je trouve finalement mon bonheur au sud de la ville, dans un petit-bois à côté d'un quartier résidentiel, orienté par un des habitants.
Le lendemain, plein de motivation, mon idée en tête, je roule au magasin de vélo. Je rentre, le vendeur à un coq sur le cœur de son maillot tricolore ! (si c'est pas un signe de fou ça???!!!). Le buste dressé, la tête haute, fier d'avoir trouvé la solution, j'y expose mon problème... Je déchante rapidement lorsqu'il m'annonce
- C'est pas possible ton idée, c'est comme mettre une roue de voiture sur une camionnette. C'est 300 € pour dérailleur made in taiwan ou 600 € pour quelque chose de correct
Mauvais coq !
Oui, car il faut savoir qu'ici en Argentine, le gouvernement taxe les produits importés. Mais ce n'est pas la petite taxe de 15-20%, c'est une bonne grosse taxe qui te fait bien mal ! Par exemple, ici, tu payes 7€ les 140 grammes de Nutella ! C'est le prix du KILO en France ! Tout l'électronique, les voitures sont plus ou moins le double que dans l'hexagone !
Bref, pour en revenir au vélo, son « quelque chose de correct » pour avoir regardé sur internet par la suite, c'est 200 € sans main d’œuvre de l'autre côté de l'atlantique... Et à moins de 400 €, on trouve le top du top du voyageur à vélo le Shimano XT venté par Jérémy, le français rencontré la semaine passée sur la carratera austral.
Je repars donc la tête bien basse du magasin de vélo à la recherche d'une autre solution... Viens alors l'idée de me faire envoyer les pièces un peu plus loin sur la route. Je me rends à La Poste pour voir si, déjà, c'est légal et également pour envoyer mon premier courrier à proches :
- Oui oui c'est légal, par contre, cela mettra un mois à arriver ici...
- 1 mois pour arriver ??? C'est une blague???!!!
- … et pour votre courrier, c'est 10 €... par enveloppe.
- C'est une blague ???!!!
- Ça a augmenté ces dernières années...
Je parle, avec l'homme du guichet, gentiment, car c'est pas ça faute, lui expliquant que sur trois autres continents, je n'ai jamais payé plus de 3€ pour une enveloppe et rigolera même quand je lui dirais en partant « désolé mais j'espère à jamais ! »
Moment difficile donc. Mon rendement à vélo étant bien trop minable ces derniers jours, j'ai rien rechargé avec ma dynamo et je cherche donc la bibliothèque de la ville. L'application GPS m'amène sur les hauteurs, je peine bien pour y pousser le vélo, arrivé à destination : c'est en fait une école...
Là, j'avoue que l'espoir qui s'était éveillé la veille, plein d'optimisme, est quelque peu parti dans un coma, bien bien profond.
Une écolière m'indique la bonne route, il me faut redescendre...
Arrivé à la bibliothèque, je rencontre German, un employé venant en vélo. J'y parle de mon souci, mon idée lui paraît crédible et le vendeur rencontré le matin avec son histoire de roue de voiture sur une camionnette, c'était certainement que du vent pour me vendre du neuf. Il m'apprend qu'il y a au moins deux autres magasins de vélo dans la ville, il ne m'en faut pas plus pour enfourcher ma bête et m'y rendre.
Le premier me dit de revenir plus tard dans l'après-midi pour en discuter avec le mécano. Le second hésitant, me dit que c'est possible, qu'il lui manque des pièces, mais me parle de prix... Il a l'air perdu
- Tu peux et veux le faire oui ou non ? Je lui demande un peu agacé
- Non
- Ok, tchao
Mon dernier espoir est Carlo, le mécano de la deuxième boutique. La soixantaine passée, il complète sa faible retraite en réparant des vélos dans son petit atelier (en partenariat avec le magasin du centre-ville).
Il me prend tout de suite sous son aile comprenant ce que je veux : faire 2000 kilomètres avec de l'occasion.
Il m’emmène en bas de chez lui dans son atelier, commence à ouvrir ma boîte de transmission et trouve un malin plaisir à la disséquer si bien que je me dit « c'est mort, il ne pourra jamais tout remonter ! ». La nuit approchant, n'aillant plus de véhicule, je souhaite retourner dans mon petit-bois à deux kilomètres de sa maison...
- Reste ici pour la nuit, on finira demain !
On passe la soirée tous les trois avec Laetitia, sa femme. Le lendemain, on termine de monter le vélo et l'enfourche une nouvelle fois en laissant mes hôtes / ange gardien derrière moi...
Je repasse à la bibliothèque raconter toute l'histoire à German, ravie d'avoir pu m'aider. Direction le Nord à bicyclette et non en stop comme je commençais de plus en plus à me faire à l'idée. Le changement de transmission ne m'aura finalement « coûté » qu'une soixantaine kilomètres de stop, 32 rayons et une chaîne... en attendant d'en racheter une en France, à un prix raisonnables.
Esquel / El Bolson
En quittant Esquel, je retrouve les routes de la « pampa » avec le vent puissant qui décide à lui seul de comment se passera journée suivant sa force et sa direction.
La première journée est pénible, je m'énerve tout seul contre ce fichu élément qui ne me réponds que pars des bourrasques violentes qui m'envoient trop régulièrement dans le bas coté m'obligeant à m'arrêter, poser les pieds au sol, remonter sur le bitume et repartir.
Le lendemain, la pluie a remplacé le vent et ce n'est finalement pas pour me déplaire, mon rendement et mon moral sont meilleurs.
El Bolson
Le temps est mitigé lors de mon arrivé. Localité « hippie » sur le papier, j'y voit plutôt une ville de blédards désoeuvrés qui ne donne pas envie d'y rester.
Je fais deux petites marches sur les hauteurs de la ville, sans intérêt aucun (la tête d'Indien et une cascade), le point fort d'El Bolson sont le cadre et ses randonnées, beaucoup plus haut, dans les montagnes. Les prévisions sont mauvaises, je passe mon chemin en vu de Bariloche, plus au Nord.
Bariloche
Arrivé sur une superbe route longeant un lac, je retrouve la famille de Luis. Militaire fraîchement retraité. C'est à 100 kms d'Ushuaia que je l'avait rencontré, en janvier dernier. Il m'avait passé son numéro « quand tu es là-bas, appelle-moi ». Cela me paraissait bien loin il y a 3 mois mais le petit « Caracol » à bien rouler sa bosse depuis.
Oui, Caracol est le nom de mon vélo, ça signifie escargot en espagnol. L'expression « caracole en tête » et le fait que l'escargot soit une spécialité française bien ragoutante aux yeux des étrangers aillant fini de persuader que c'était le nom parfait.
Bref, je retrouve Luis, Carmen et leurs deux enfants, Leandro et Tomas. Au début pour deux ou trois jours, je passe finalement une semaine au sein de cette famille pleine d'amour. On parle aussi (ici encore) beaucoup, j'apprends quelques recettes dont les empanadas ou le pollo al disco et visite les alentours avec les enfants.
En plus de tout ça, je visite le parc au sud de la ville lors d'une journée en stop, fait le circuit chico à vélo et une rando jusqu'au refuge Frey (la plus belle des trois sorties!)
Le weekend, c'est la fête du chocolat, j'ai l'immense privilège de voir de mes propres yeux, et même de goûter : LA BARRE DE CHOCOLAT LA PLUS GRAND DU MONDE ! 300 mètres de bonheurs dont je mangerai 4 petits bouts (j'ai refait la queue plusieurs fois, honte à moi!)
C'est sous un ciel bien gris que je quitte Bariloche, une circulation dense et l'arrivé de la pluie me font tristement retourner à la réalité.
Route des 7 lacs
C'est probablement mon plus grand regret « touristique » du voyage. Le cadre est idyllique (malgré pas mal de bus de touristes quand même), les lacs, les arbres rougeoyants et les montagnes font de ces 150 kms l'une des routes les plus réputées d'Amérique du sud.
Le regret est pour le temps, la première journée sous un ciel menaçant et la deuxième sous la pluie... Les prévisions pessimistes pour la prochaine dizaine de jours me dicuadent de m'arrêter comme j'avais pu le faire précédement dans le voyage et me fait à l'idée que je verrai pas cette route sous son plus beau jour...
Passé de l'autre côté des montagnes, à San Martin de los Andes, je retrouve un temps respectable et joui même du soleil.
Journée maudite
À noté que lors d'une journée, me réveillant, je m'aperçois qu'un de mes arceaux de la tente s'est cassé (ça, je m'y habitue désormais). Je le répare, charge le vélo et cette fois, c'est mon pneu arrière qui est crevé. Prévoyant, j'ai une chambre à air de rechange, je démonte tout, manque de chance, le gars m'a vendu une avec un gros embout qui ne passe pas dans ma jante. 15 € foutus en l'air (oui, même les objets produits en Argentine sont le double que chez nous, « locura » du gouvernement)
Je fais donc les 30 kms ralliant la ville la plus proche en regonflant mon pneu tous les 5 kms. Arrivé chez le vélociste, les vis de ma béquille se cassent... La guigne !
J'aurai quand même la chance de manger bien plus qu'à ma faim lorsqu'un restaurant, bien contant de ne pas devoir le jeter, m'offre avec un grand sourire des empanadas, tartes et autres milanaises ! De quoi me remonter le moral !
Pucon
Petite ville à l'ombre d'un volcan et bordant un lac, Pucon m'avait été vanté par Charlotte lors du stop sur la carratera un mois plus tôt. Je m'y rends de Junin de los Andes, un aller et retour de 300 kilomêtres (je peux faire du stop, c'est pas de la triche).
La route est finalement bien goudronnée. Malgré un vent de face, je profite de la vue magnifique sur le volcan Lanin et trouve motivation à pédaler.
L'entrée dans le parc est plus compliquée, une piste, une côte de 15 kms, un pick-up arrêté sur le bord de la route :
- Vous pouvez m'amener jusqu'à Pucon s'il vous plaît ?
On est déjà bien chargé, mais on va essayer !
Arrivé à Pucon, le temps est mauvais, les averses s'enchaînent et ne permettent pas de profiter de la ville comme j'aurai voulu. Un restaurant me propose à manger (le gars voyage à vélo également!), je demande des fruits moches aux primeurs, complête en faisant quelques courses et entreprends les 150 kms en stop pour retourner à Junin, côté Argentin.
Une voiture m'avance d'une quarantaine de kilomètres jusqu'à une petite ville, il commence à faire sombre, je continue à pédaler pour sortir de la petite agglomération et m'arrête à la première lueur traversant la fenêtre d'une maison.
Teresa, propriétaire de la petite ferme et sa maman Lucila m'accueillent, je monte la tente et vais les rejoindre. On discute, en autre, du premier tour des présidentielles françaises qui ont lieu demain et je me dis qu'heureusement que tout le monde n'a pas une haine contre les étrangers comme peut l'avoir notre chère Marine Le Pen, mon voyage serait bien triste si toutes les portes me claquées au nez...
Le lendemain, je reprends le stop à la mi-journée jusqu'à Junin où j'arrive en fin d'après-midi, je consulte les nouvelles de l'hexagone et apprends que nous avons désormais le « choix » entre l'extrémisme libéral et l'extrémisme national... Génial...
La dernière ligne droite s'ouvre à moi avant ma pause « travail » : Un millier de kilomètres (plus quelques détours) sur la route 40 avant d'arriver à destination de Lujan de Cuyo au sud de Mendoza.
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